L'”épidémie de cancer de la peau” motive de grandes campagnes nationales de prévention. Des données épidémiologiques récentes démontrent l’efficacité de la prophylaxie primaire et des programmes de dépistage.
L'”épidémie de cancer de la peau” motive de grandes campagnes nationales de prévention. L’incidence du cancer de la peau a plus que doublé (facteur 2,5) au cours des 30 dernières années (1985-2015). Cela vaut aussi bien pour le mélanome (cancer de la peau noire) que pour le “cancer de la peau claire”, le “non-melanoma skin cancer (NMSC)”, qui comprend toutes les formes de carcinome basocellulaire et de carcinome spinocellulaire cutané. Sur la population suisse (environ 8 millions d’habitants), on compte chaque année environ 2500 nouveaux cas de mélanome et environ 22 500 nouveaux cas de “non-melanoma skin cancer”. Le cancer de la peau est la tumeur maligne la plus fréquente chez l’homme.
En particulier, la mortalité relativement élevée du mélanome, estimée à environ 20% en 1985 et à 12% aujourd’hui, a attiré l’attention des sociétés nationales de dermatologie et de vénéréologie des pays industrialisés. Des campagnes de prévention à grande échelle ont été lancées, avec pour slogan : “Détecté tôt, le cancer noir de la peau se guérit”. Les campagnes comprennent des informations sur la protection solaire (prophylaxie primaire) et le diagnostic précoce des lésions suspectes (prophylaxie secondaire). Chaque année en mai, le “Melanoma Monday” est célébré dans toute l’Europe par de grandes actions de dépistage à l’échelle nationale, qui sensibilisent la population au cancer de la peau dans le cadre d’actions de dépistage gratuites à grande échelle et d’informations médiatiques.
Le réseau “Euromelanoma” regroupe 33 pays qui mettent en commun et analysent scientifiquement les données des 100 000 examens de dépistage effectués chaque année >. Les membres de la Société suisse de dermatologie et vénéréologie (SSDV), en collaboration avec les services hospitaliers universitaires et cantonaux de dermatologie, examinent gratuitement entre 2500 et 3500 personnes par an et transmettent les données collectées de manière anonyme à Euromelanoma. A cette occasion, les participants recevront du matériel d’information d’Euromelanoma adapté aux profanes, complété par des informations complètes sur Internet (www.euromelanoma.org). Vous trouverez d’autres informations importantes sur le site de la Ligue suisse contre le cancer (www.krebsliga.ch). La division Radioprotection de l’Office fédéral de la santé publique soutient idéalement la campagne nationale contre le cancer de la peau. La fourniture et l’impression des brochures représentent un coût important. Elles sont principalement prises en charge par plusieurs fabricants de protection solaire, à parts égales. La SGDV prend en charge les coûts résiduels non couverts de l’action.
La prévention du cancer de la peau est efficace – Mais il reste encore beaucoup à faire
Si les campagnes de prévention ont pour effet que le diagnostic de cancer en question est de plus en plus fréquent (augmentation de l’incidence) alors que la mortalité reste élevée, l’épidémiologie parle de “surdiagnostic” : la prévention a manqué son objectif principal. Sans réduire la mortalité, de plus en plus de personnes en bonne santé (et de malades subcliniques) qui ne se doutaient de rien sont stigmatisées, examinées et traitées – avec tous les risques et les contraintes inhérents [9,10]. En 1985, l’incidence absolue du mélanome en Suisse était de 800 tumeurs nouvellement détectées sur une population de 6,5 millions (12/100 000), alors qu’elle est aujourd’hui de 2500 tumeurs nouvellement détectées sur une population de 8 millions (31/100 000). En chiffres absolus, la mortalité due au mélanome s’est maintenue autour de 300 décès par an entre 2000 et 2015, tandis qu’en termes relatifs, elle est passée d’environ 20% à 12% des nouveaux cas diagnostiqués.
Dans les années 2000-2012, la prévention du cancer de la peau a donc dû faire face à des accusations de surdiagnostic [11,12]. L’incidence du cancer de la peau était en constante augmentation. Des formes précoces de mélanome ont été diagnostiquées de plus en plus fréquemment, alors que l’incidence des mélanomes épais et la mortalité n’ont pas été affectées en termes absolus.
Cependant, des données épidémiologiques récentes démontrent désormais l’efficacité de la prophylaxie primaire et des programmes de dépistage (prophylaxie secondaire) du cancer de la peau [13,14]. L’efficacité pourrait probablement être grandement améliorée si la proportion de la population dépistée était fortement élargie et si les populations non dépistées étaient systématiquement mieux couvertes.
Une étude australienne à long terme a démontré, dans le cadre d’un essai contrôlé randomisé dans lequel la moitié des participants à l’étude appliquait une protection solaire à sa guise et l’autre moitié était fortement incitée à appliquer une protection solaire, qu’une protection solaire plus conséquente réduisait l’incidence du mélanome [15].
Une étude allemande portant sur plus de 360 000 participants, soit environ 19% de la population du Schleswig-Holstein, a constaté une augmentation temporaire de l’incidence (mélanomes invasifs +27%, mélanomes in situ +48%) et en même temps une diminution de moitié de la mortalité en quelques années (on s’attendait à 2,0/100 000 et on a obtenu 0,79/100 000 par an, extraction des données pour les hommes), qui a persisté par la suite à ce niveau plus bas. [16]. La diminution de la mortalité a été si impressionnante et si rapide qu’il est difficile de l’expliquer uniquement par le dépistage intensif du cancer de la peau. Il est possible qu’un effet indirect de sensibilisation de la population ait contribué à ce grand succès. Cependant, l’étude a eu un grand retentissement politique et a conduit à ce que le dépistage du cancer de la peau en Allemagne soit remboursé par l’assurance maladie une fois tous les deux ans [14].
Une étude marseillaise s’est penchée sur les raisons pour lesquelles les programmes de dépistage ne parviennent pas à réduire la mortalité due au mélanome dans la mesure souhaitée. L’étude a montré que certaines couches de la population sont plus à risque. (A) Hommes, (B) les personnes, et à nouveau plus particulièrement les hommes, ayant suivi une scolarité courte (C) les hommes de plus de 65 ans et (D) les populations rurales ont un risque plus élevé de mourir d’un mélanome. Ils représentent également les populations éloignées du dépistage qui ne sont pas suffisamment atteintes par les campagnes d’information et les examens de dépistage [17].
Les données de synthèse d’Euromelanoma donnent une indication indirecte de l’efficacité probable du dépistage du cancer de la peau. La Suisse, pays disposant d’un très bon système de soins de santé, est en tête de liste à deux égards. L’incidence du mélanome est la plus élevée d’Europe (19/100 000), tandis que la mortalité relative est la plus faible (mortalité absolue 1,8/100 000, mortalité relative 10% [1,8:19=0,1]). Les pays d’Europe de l’Est, moins bien lotis sur le plan économique et médical, présentent des chiffres différents. Pour une incidence de mélanome de 4/100 000, la mortalité est de 1,6/100 000, soit 40%. [18]. Comme la mortalité due au mélanome est directement associée à l’épaisseur de la tumeur (indice de Breslow) lors de l’excision primaire, cela signifie sans aucun doute que les personnes d’Europe de l’Est se présentent plus tard chez leur médecin lorsqu’elles soupçonnent un mélanome.
Dans les pays alpins, on constate une augmentation de la part relative du lentigo malin (LM) et du mélanome malin du lentigo (LMM) dans le nombre total de mélanomes diagnostiqués. Ce sous-groupe de mélanomes, qui apparaît principalement sur la peau du visage et du cuir chevelu chroniquement exposée au soleil, a une croissance très lente et reste généralement dans la couche superficielle de la peau pendant des années, sans tendance à la croissance en profondeur et à la propagation métastatique. La mortalité est de 2-3%. La proportion accrue de LM et de LMM explique en partie le taux de mortalité par mélanome relativement faible de la Suisse par rapport aux autres nations d’Europe occidentale.
Opportunités futures de la campagne nationale contre le cancer de la peau
En 2011-2013, la SSDV et la Ligue suisse contre le cancer ont repensé la stratégie de prévention nationale du cancer de la peau. La SGDV a décidé de maintenir la campagne nationale contre le cancer de la peau et la coopération fructueuse avec Euromelanoma. Cette année, la campagne aura lieu dans toute la Suisse le 15 mai et sera accompagnée d’informations médiatiques. Des après-midi d’examen supplémentaires sont proposés la semaine du 15 au 19 mai, plus d’informations sur le site www.melanoma.ch.
Parallèlement, la SGDV a intensifié sa présence en matière de dépistage dans les secteurs industriels où l’exposition au soleil est élevée sur le lieu de travail et où la proportion de travailleurs plutôt éloignés du dépistage est importante.
L’étalon-or d’une étude épidémiologiquement valable sur les possibilités et les limites du dépistage du cancer de la peau devrait se baser sur une information et un examen cutané systématiques et aussi complets que possible de l’ensemble de la population d’une région définie d’environ 100 000 habitants sur une période de plusieurs années. Elle impliquerait les médecins de premier recours et les dermatologues. Pour l’instant, la SGDV ne dispose pas encore des ressources nécessaires pour mener une telle étude à grande échelle et sur plusieurs années.
D’ici là, les dermatologues suisses, en coopération avec les médecins de premier recours ainsi qu’avec la Ligue suisse contre le cancer, Euromelanoma et avec le soutien des producteurs de produits de protection solaire impliqués, poursuivront la campagne nationale annuelle contre le cancer de la peau, avec des interventions supplémentaires dans les secteurs industriels particulièrement touchés par le cancer de la peau, dans les régions rurales de Suisse non desservies par les dermatologues ainsi que, de manière générale, dans les écoles (indirectement par le biais du corps enseignant, prophylaxie primaire) et chez les hommes de plus de 65 ans.
Messages Take-Home
- En Suisse, l’incidence du mélanome est la plus élevée d’Europe, tandis que la mortalité relative est la plus faible.
- La mortalité a diminué entre 2000 et 2015, passant d’environ 20% à 12% par rapport au nombre de nouveaux cas diagnostiqués.
- Des données épidémiologiques récentes démontrent l’efficacité de la prophylaxie primaire et des programmes de dépistage.
- Certaines couches de la population courent un risque plus élevé de diagnostic tardif et d’évolution fatale. Ils représentent également la part de la population qui n’est pas suffisamment atteinte par les campagnes d’information et les examens de dépistage.
- Le SGDV a intensifié sa présence en matière de dépistage dans les secteurs industriels où l’exposition au soleil au travail est élevée et où la proportion de travailleurs plutôt éloignés du dépistage est importante.
Littérature :
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Autres références sur le dépistage du cancer de la peau à grande échelle et son effet préventif :
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DERMATOLOGIE PRATIQUE 2017 ; 27(2) : 10-14