L’entorse du pied ou distorsion de l’OSG est la blessure la plus fréquente en médecine et en médecine sportive. C’est peut-être pour cette raison qu’elle n’est pas toujours prise suffisamment au sérieux, que ce soit par le patient, mais aussi parfois par le médecin. Avec une incidence estimée d’une blessure à la cheville par jour pour 10 000 habitants, on arrive au chiffre respectable d’environ 780 cas quotidiens (285 000 cas par an) uniquement dans la petite Suisse. Avec une telle fréquence, on pourrait naïvement penser que cette blessure, qui peut survenir dans toutes les activités et pas seulement dans le sport, n’a plus de secret pour les médecins et que son traitement est une simple affaire de routine. Or, il n’en est rien et cette lésion prétendument banale pose toujours de véritables problèmes.
Le patient apporte généralement le diagnostic au cabinet, mais il n’est pas toujours facile d’obtenir des informations anamnestiques précises. L’énergie impliquée dans le jeu peut être évaluée grossièrement, l’intensité de la douleur immédiate est généralement indiquée spontanément par le patient, s’il a entendu des bruits inhabituels, il faut généralement demander. Cependant, il n’existe pas toujours une relation linéaire entre ces différents éléments importants qu’il faut absolument appréhender ; même des accidents avec apparemment peu d’énergie en jeu peuvent entraîner des lésions graves. La question des mesures immédiates est importante, mais le plus souvent plutôt décevante : l’application de la règle PECH – bien que promue sous toutes les couleurs et formes – ne semble être que très partiellement comprise par la population générale.
Les radiographies sont trop fréquentes
Une grande importance est accordée à l’examen, en particulier en ce qui concerne l’un des problèmes qui sera abordé plus en détail ici : la radiographie. En 2017, on constate en fait toujours la même chose : les patients qui se sont foulés la cheville se rendent souvent aux urgences d’un hôpital proche – et ils subissent presque systématiquement une radiographie ap/latérale, parfois avant tout autre examen. Ensuite, ils viennent nous voir au cabinet pour le suivi. Selon les auteurs, cette recherche de fractures – il ne peut s’agir que de cela lors de la radiographie – permet de trouver au maximum 15% de telles lésions. Dans notre expérience, les chiffres sont toutefois inférieurs à 5%, et plusieurs études portant sur des collectifs plus importants trouvent des chiffres encore plus bas. Il conviendrait donc de rechercher des méthodes permettant de réduire cette mesure diagnostique coûteuse et pourtant pas totalement bénigne (irradiation).
En 1992, les règles dites d’Ottawa ont vu le jour. Celles-ci stipulent que les radiographies ne sont utiles que si une dolence à la pression 6 cm dans la région postérieure de la malléole latérale ou sur la base de la veine métatarsienne ou médialement sur le naviculaire et 6 cm dans la zone postérieure de la malléole médiale et si le patient ne peut pas mettre en charge le pied blessé immédiatement après l’accident et sur le lieu de l’examen initial. Cette règle d’Ottawa, qui permet d’exclure les fractures sans radiographie, a été validée dans plusieurs méta-analyses et est considérée comme très fiable [1]. Elle est applicable aux patients âgés de 15 à 65 ans. Il semble toutefois que cette ancienne publication ne soit que peu suivie, ce qui est en fait dommage si l’on prend en compte le prix des examens : La radiographie de la cheville ap/latérale coûte environ CHF 100. Si l’on tient compte encore une fois des 780 cas par jour, on obtient un montant quotidien de 78 000 CHF, ce qui représente tout de même 28 470 000 CHF sur une année . Et là, on parle d’économies !
Examen clinique
Mais revenons à l’examen clinique, si important. Elle se fait d’abord en position debout avec observation de la forme de l’articulation (gonflement) et de la façon dont le patient se tient sur l’articulation. Ensuite, on passe à la marche. D’autres examens sont effectués en position couchée. L’articulation est soigneusement déplacée de manière passive, puis de manière active. Lors de cette étape, il est assez facile de vérifier l’intégrité du guide du tendon péronier (latéralement, derrière la malléole latérale, avec extension dorsale et éversion). Même si les luxations du tendon péronier ne représentent qu’une faible proportion des lésions de l’OSG (moins de 1%), il est important – car relativement simple – de ne pas passer à côté de cette pathologie. La palpation des structures osseuses (comme mentionné ci-dessus), latéralement mais aussi médialement, est très importante. Elle permet d’exclure facilement les fractures.
L’évaluation de la stabilité de l’articulation par des poignées spéciales avec vérification de la supination et de l’avancée du talus (par rapport au côté sain) est l’étape suivante – mais la fiabilité de l’évaluation clinique sur l’étendue d’une lésion ligamentaire est plutôt faible. Notez ici l’impact psychologique sur le patient de l’annonce de fissures qui ne sont peut-être pas présentes. Les examens IRM, qui pourraient montrer de manière plus satisfaisante de telles lésions de l’appareil capsulo-ligamentaire, ne sont pas à mentionner à ce stade précoce.
Enfin, une lésion de la syndesmose doit être recherchée cliniquement. Il existe deux tests : le premier est le test de rotation externe, au cours duquel le patient est assis au bord de la table d’examen, le genou fléchi à 90° ; l’examinateur fixe la jambe avec une main, saisit le pied avec l’autre main et exerce une rotation externe de la cheville. Une douleur est suspectée d’être une lésion de la syndesmose. L’autre test, qui n’est pas plus compliqué, est le squeeze test, au cours duquel l’examinateur comprime le tibia et le péroné du côté proximal au côté distal avec les deux mains du patient, dans une position similaire à celle du test précédent. Un test positif est l’apparition d’une douleur dans la région ventrale de l’OSG. Le test de rotation externe, en particulier, a une assez bonne spécificité. Après tout, ce type de blessure à la cheville se produit dans 1 à 10 % des cas, selon les auteurs. Avec un peu de pratique, un tel examen minutieux prend six à sept minutes.
Le traitement est conservateur
Sauf exceptions – comme les rares fractures, la luxation du tendon péronier, encore plus rare, et les lésions syndesmiques de haut niveau – le traitement des distorsions de la cheville est presque toujours conservateur. Mais cela ne doit en aucun cas être assimilé à de l’improvisation ou à un manque de structure, voire à de la banalité. Depuis une vingtaine d’années, le traitement dit fonctionnel donne de bons résultats. Conceptuellement, elle est basée sur la connaissance des principales phases de guérison (I phase inflammatoire, II phase de prolifération, III phase de remodulation) et sur l’utilisation d’orthèses – à ne pas confondre avec les bandages de cheville – et de la physiothérapie.
Comme pour tous les traitements, la gestion de la douleur est importante et l’utilisation immédiate d’AINS (y compris les inhibiteurs de la phase physiologique de l’inflammation) doit être considérée de manière critique. Comme souvent, la décharge sur des bâtons et l’application de glace sont des alternatives analgésiques efficaces, sans effets secondaires et bon marché.
L’orthèse sert à empêcher la supination de l’arrière-pied ainsi que l’avancée du talus. Elle permet donc la guérison des structures capsulo-ligamentaires lésées. Ce qui compte, c’est la discipline et la durée du port : jour et nuit au début, indépendamment de la douleur, et pendant trois à six semaines, en fonction de l’évolution clinique.
La kinésithérapie joue également un rôle essentiel et peut être utilisée dès le début du traitement. De plutôt passive au départ (décongestion, antidouleur), elle devient de plus en plus active avec une reprogrammation de la proprioception. Un contact entre le médecin et le physiothérapeute est très avantageux. Une grande attention doit être accordée à la récupération d’un bon contrôle proprioceptif de l’articulation, ce qui demande du temps et de la discipline, généralement plus de neuf séances.
Suivi
Il est également important d’assurer un suivi étroit, au moins au début, en rappelant au patient que la période de guérison peut durer des semaines, voire des mois. La non-prise en compte de ce fait est probablement une explication valable pour les taux élevés de récidive, jusqu’à 70% de nouvelles lésions osseuses dans les trois années suivant la première. Si la cheville blessée est toujours douloureuse après trois ou quatre mois, le moment est venu de réévaluer la situation. En général, une autre pathologie est alors présente, comme une lésion ostéochondrale du talus, une lésion manquée de la syndesmose, une pathologie du tendon péronier ou une instabilité de l’OSG, éventuellement de l’USG, soit par des lésions ligamentaires, soit par une rééducation musculo-proprioceptive insuffisante.
Une même diligence requise
D’après ma propre expérience de longue date, l’approche décrite ci-dessus s’est imposée de manière convaincante, du diagnostic au traitement. La distorsion de la cheville doit donc être abordée avec autant de soin que tout autre problème de santé.
Littérature :
- Bachmann LM, et al : Accuracy of Ottawa ankle rules to exclude fractures of the ankle and mid-foot : systematic review. BMJ 2003 Feb 22 ; 326(7386) : 417.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2017 ; 12(4) : 5-6