L’ajout du dupilumab, un médicament biologique très efficace, à l’éventail des options de traitement systémique soulève des questions sur la manière de procéder en cas de changement de traitement. Une équipe d’experts a élaboré des recommandations pour la pratique clinique, dans lesquelles ils indiquent les éléments à prendre en compte lors du passage des immunosuppresseurs classiques à un traitement par dupilumab.
Avec une prévalence mondiale de 2 à 5 %, l’eczéma atopique est l’une des dermatoses les plus courantes [1]. Outre le traitement de base avec différents agents topiques hydratants et relipidants, il existe des préparations topiques anti-inflammatoires pour les symptômes aigus et, selon les cas, des substances à action antifongique et antibactérienne. Dans les formes modérées et sévères de la maladie, un traitement systémique peut être nécessaire. Le traitement systémique par dupilumab (Dupixent®), récemment admis en Suisse pour les patients adultes, a démontré dans des études cliniques un excellent profil efficacité/sécurité pour le traitement de la dermatite atopique modérée à sévère et est recommandé dans les directives actuelles comme traitement de première ligne (encadré) [2,3,13]. Les autres options thérapeutiques basées sur les lignes directrices pour cette indication, telles que la ciclosporine (première ligne) et les préparations utilisables hors étiquette comme le méthotrexate, l’azathioprine et le mycophénolate mofétil, ainsi que les glucocorticostéroïdes systémiques, ne sont pas optimales pour un traitement à long terme de la dermatite atopique en raison du risque d’effets secondaires, conclut un groupe d’experts dermatologiques qui a élaboré une recommandation d’action pour le passage au dupilumab sur la base d’une revue de la littérature [4]. Wohlrab et al. indiquent dans l’article correspondant qu’outre les raisons d’un changement de traitement telles qu’un manque d’efficacité, des effets secondaires indésirables ou des contre-indications, il faut également tenir compte des données pharmacologiques [4].
Le changement de traitement systémique peut avoir plusieurs raisons
Si, après une période de traitement de 12 à 16 semaines, aucun effet du traitement n’est obtenu dans la fourchette de doses recommandée, ou si les effets sont trop faibles (par exemple, non-atteinte d’un EASI-50), on parle d’efficacité insuffisante. Une diminution secondaire de l’efficacité au cours du traitement peut également être un argument en faveur d’un changement de traitement par dupilumab. D’autres raisons possibles sont les effets secondaires indésirables (EI) liés au traitement ou la contre-indication [5]. Selon Wohlrab et al, plusieurs facteurs doivent être pris en compte pour définir une stratégie d’action fondée sur la clinique et la pharmacologie. [4]. Le principe fondamental est d’éviter de nuire au patient, les risques étant d’une part la survenue d’effets indésirables des médicaments pendant le changement de traitement et d’autre part l’augmentation de l’activité de la maladie. Étant donné qu’il existe actuellement peu de données empiriques sur le passage au dupilumab , les recommandations de Wohlrab et al. sur une combinaison de recherche documentaire, de considérations pharmacologiques et de leur expérience [4].
Différences dans le comportement d’élimination pharmacocinétique
Les anticorps monoclonaux ont un comportement pharmacocinétique différent de celui des médicaments de petit poids moléculaire tels que la ciclosporine, le méthotrexate, l’azathioprine et les dérivés de l’acide mycophénolate mofétil/mycophénolique [6]. Alors que l’inactivation des substances actives de petites molécules se fait par élimination rénale ou hépatique ou par métabolisation dans d’autres tissus, la clairance des anticorps monoclonaux repose sur la liaison à l’épitope cible (“antigen sink”), par protéolyse après absorption par des cellules du système réticulo-endothélial (p. ex. macrophages) ou par endocytose non spécifique et décomposition lysosomale subséquente. Une interaction chimique entre les médicaments à petites molécules et les anticorps monoclonaux est donc peu probable et, d’un point de vue pharmacocinétique, une coapplication des deux groupes de substances n’est donc pas critique [7].
Le dupilumab atteint sa concentration sérique maximale et une biodisponibilité absolue d’environ 64% 7 à 10 jours après l’application sous-cutanée. La formation d’anticorps endogènes contre le dupilumab ayant un effet neutralisant (appelés “anti drug antibodies”, ADA) n’a été observée que dans une proportion très faible et cliniquement non significative d’environ 0,5-2% [8].
Possibilité d’utilisation parallèle à court terme avec des immunosuppresseurs
Il est fréquent que le dupilumab soit initié chez des patients qui suivent encore un traitement par immunosuppresseurs, notamment la ciclosporine. Pour un tel changement de traitement de la ciclosporine au dupilumab, une utilisation combinée pendant 4 à 6 semaines peut être envisagée, selon Wohlrab et al. [4]. Il n’existe à ce jour aucune preuve de l’utilisation combinée à long terme d’un immunosuppresseur conventionnel et du dupilumab. Étant donné qu’aucune interaction médicamenteuse directe avec l’une des “petites molécules” déjà mentionnées n’est à prévoir lors de l’utilisation du dupilumab, il n’y aurait pas d’objection, d’un point de vue pharmacologique, à un traitement subséquent immédiat et adapté à l’indication, respectivement à une utilisation combinée du dupilumab avec l’un des immunosuppresseurs conventionnels (ciclosporine, glucocorticoïdes systémiques, méthotrexate, azathioprine ou dérivés de l’acide mycophénolique).
Ciclosporine : si le passage au dupilumab est envisagé en raison d’un manque d’efficacité de la ciclosporine à une dose de 5 mg/kg PC/jour pendant 12 à 16 semaines ou en raison d’EI non tolérables ou compensés dans le temps, le traitement par dupilumab doit être initié immédiatement après l’arrêt de la ciclosporine, sans pause thérapeutique (fig. 1) [4]. Toutefois, si le passage au dupilumab est envisagé en raison d’EI tolérables dans le temps, voire compensés, ou si la ciclosporine est utilisée pendant 1 à 2 ans pour éviter les EI, la ciclosporine doit être administrée à la dose établie pendant 4 à 6 semaines en chevauchement avec le traitement par dupilumab afin d’éviter une récidive rapide de la dermatite atopique. (ill. 1) [4].
Méthotrexate, azathioprine ou dérivés de l’acide mycophénolique : si un changement de traitement est envisagé en raison d’un manque d’efficacité ou de l’apparition d’EI pertinents pour les substances actives utilisables hors étiquette méthotrexate, azathioprine, mycophénolate mofétil/dérivés de l’acide mycophénolique, l’arrêt doit se faire sans diminution progressive. Il est possible de commencer un traitement par dupilumab immédiatement après, sans pause thérapeutique. Selon Wohlrab et al., un chevauchement temporel par l’administration d’une combinaison pendant 4 à 6 semaines n’est certes pas critique du point de vue pharmacocinétique, mais ne semble pas judicieux en raison des demi-vies d’effet plus longues, car il ne faut pas s’attendre à une récidive rapide. [4].
Littérature :
- Darsow U, et al. : Eczéma, eczéma atopique et dermatite atopique, www.worldallergy.org/education-and-programs/education, dernière consultation 12.11.2020
- AMWF : Ligne directrice “Dermatite atopique”, www.awmf.org/leitlinien/detail/ll/013-027.html
- Werfel T, et al. : S2k-Leitlinie Neurodermitis [eczéma atopique ; dermatite atopique] version courte, JDDG 2016, https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/ddg.140_12871, dernière consultation 12.11.2020
- Wohlrab J, et al. : Recommandation d’action pour le changement de traitement des immunosuppresseurs par le dupilumab chez les patients atteints de dermatite atopique. Hautarzt 2020, https://doi.org/10.1007/s00105-020-04720-1, dernière consultation 12.11.2020
- Vestergaard C, et al : European task force on atopic dermatitis position paper : treatment of parental atopic dermatitis during preconception, pregnancy and lactation period. J Eur Acad Dermatol Venereol 2019 ; 33 : 1644-1659.
- Wohlrab J : Pharmacokinetic characteristics of therapeutic antibodies. J Dtsch Dermatol Ges 2015 ; 13 : 530-534.
- Ohtsuki M, et al : Le sécukinumab améliore les symptômes du psoriasis chez les patients qui ne répondent pas suffisamment à la cyclosporine A : une étude prospective pour évaluer le switch direct. J Dermatol 2017 ; 44 : 1105-1111.
- Rapport d’évaluation EMA Dupixent (EMA/512262/2017). www.ema.europa.eu/en/documents/assessment-report/dupixent-epar-public-assessment-report_en.pdf, dernier appel 12.11.2020
- Blauvelt A, et al : Prise en charge à long terme de la dermatite atopique modérée à sévère avec dupilumab et des corticostéroïdes topiques concomitants (LIBERTY AD CHRONOS) : un essai de phase 3, randomisé, en double aveugle, contrôlé par placebo, d’une durée de 1 an. Lancet 2017 ; 389 : 2287-2303.
- Thomson J, Wernham AGH, Williams HC : Long-term management of moderate-to-severe atopic dermatitis with dupilumab and concomitant topical corticosteroids (LIBERTY AD CHRONOS) : a critical appraisal. Br J Dermatol 2018 ; 178 : 897-902.
- Wollenberg A, et al : Laboratory safety of dupilumab in moderate-to-severe atopic dermatitis : results from three phase III trials (LIBERTY AD SOLO 1, LIBERTY AD SOLO 2, LIBERTY AD CHRONOS). Br J Dermatol 2020 ; 182 : 1120-1135.
- D’Ippolito D, Pisano M : Dupilumab (Dupixent) : un antagoniste du récepteur de l’interleukine-4 pour la dermatite atopique. P T 2018 ; 43 : 532-535.
- Forum européen de dermatologie : EDF-Guidelines for Treatment of Atopic Eczema (Atopic Dermatitis) Part I, www.isplad.org/wp-content/uploads/2018/03/linee_guida_eczema_atopico.pdf, dernière consultation 12.11.2020
DERMATOLOGIE PRATIQUE 2020 ; 30(6) : 23-24