Cet article approfondit l’article de formation continue “Reflux gastro-œsophagien” sur l’aspect du mode d’action des préparations d’alginate-antiacides et leur rôle dans le traitement complémentaire aux IPP. Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) jouent un rôle crucial dans le traitement du reflux gastro-œsophagien (RGO). Leur efficacité par rapport aux traitements placebo et leur supériorité par rapport aux autres médicaments ont été démontrées dans de nombreuses études [1]. Néanmoins, il y a toujours des patients qui ne répondent pas au traitement par IPP. Afin d’éviter ces symptômes de reflux persistants et d’améliorer ainsi la qualité de vie des patients, un algorithme de traitement actuel prévoit, si nécessaire, un traitement supplémentaire à l’alginate [2].
Des études randomisées montrent que la proportion de patients présentant des symptômes de RGO persistants malgré un traitement par IPP est d’environ 30% [3]. Des chiffres similaires ont été enregistrés dans le traitement à long terme des troubles chroniques du reflux. Dans une enquête menée auprès de 333 patients sous traitement IPP depuis au moins un an, 46% ont déclaré souffrir de brûlures d’estomac et/ou de régurgitations au moins deux jours par semaine [4].
L’Acid Pocket comme cible thérapeutique dans le traitement du RGO
Dans la pathogenèse du RGO, le concept de poche d’acide a été mis en avant ces dernières années [2,5]. Il s’agit d’une accumulation (“couche acide”) d’au moins 50-70mL d’acide non tamponné qui se forme en postprandial sur le contenu de l’estomac juste en dessous de la jonction gastro-œsophagienne et qui est à peine mélangée au bol alimentaire [2,6]. Des mesures de pH et des images scintigraphiques ont montré que la poche d’acide est présente dès 15 minutes après le repas et qu’elle persiste jusqu’à 90 minutes [5,7,8]. Cette couche acide joue un rôle important dans le développement des dommages muqueux et des symptômes de reflux, ce qui en fait une cible thérapeutique importante [9]. Si la barrière anti-reflux est perturbée par une maladie de reflux, le contenu de l’Acid Pocket peut refluer dans l’œsophage et provoquer des symptômes. La plupart des épisodes de reflux surviennent environ 10-15 min. jusqu’à 60 min. après le repas. C’est à cette époque que l’Acid Pocket a atteint sa position la plus proximale [10].
La thérapie à l’alginate permet d’agir précisément à ce niveau. En créant une barrière physique protectrice dans la partie proximale de l’estomac, l’alginate peut agir directement sur la poche d’acide. Plusieurs études menées chez des patients symptomatiques du RGO ont montré que la prise de Gaviscon, un antiacide à base d’alginate, permettait de déplacer la poche d’acide vers la partie distale ou de l’éliminer complètement. Cela entraîne une réduction des épisodes de reflux et peut donc contribuer à une amélioration de la qualité de vie [7,11]. De plus, l’alginate adhère à l’épithélium œsophagien pendant des heures, protégeant ainsi la muqueuse des dommages induits par l’acide [12].
Alginate pour le traitement des troubles du reflux persistants
Selon les manifestations cliniques, le succès thérapeutique sous IPP est d’environ 70% [9]. Dans une étude récente, 20% des personnes interrogées ont déclaré être très insatisfaites de leur traitement par IPP [4]. 70% d’entre eux faisaient partie du groupe des “patients perdus”. Les “patients perdus” étaient ceux qui, selon le questionnaire GERDQ, souffraient de RGO et étaient très insatisfaits de leur traitement par IPP. Néanmoins, aucun des patients inclus n’a fait l’objet d’une tentative préalable de clarification de la cause du traitement insuffisant ou d’adaptation du traitement en conséquence, car les médecins traitants n’étaient généralement pas au courant de ce résultat thérapeutique. Cela montre qu’en cas de RGO, le succès du traitement doit être systématiquement vérifié afin de garantir un contrôle suffisant des symptômes et de prévenir de tels problèmes thérapeutiques. Une façon simple de le faire est d’utiliser des questionnaires [4].
En cas de reflux gastro-œsophagien malgré un traitement par IPP adéquat, la marche à suivre doit être adaptée en conséquence. C’est pourquoi un algorithme actuel a été publié, qui présente l’évaluation et le traitement des symptômes de reflux persistants sous IPP en cas de RGO [2].
Une première étape importante consiste à confirmer le diagnostic de RGO. Si les IPP ont été prescrits uniquement sur la base des symptômes cliniques, il convient de procéder à un autre diagnostic différentiel. Une anamnèse minutieuse et une endoscopie supplémentaire, si elle n’a pas encore été effectuée, sont nécessaires. Si aucune explication macroscopique n’est trouvée pour les symptômes, il est également recommandé de prélever des biopsies du duodénum, de l’estomac et de l’œsophage. Dans certains cas, les comorbidités psychologiques peuvent également jouer un rôle et doivent être prises en compte [2].
Si un RGO a été détecté, on peut d’abord travailler avec le patient pour améliorer l’observance et/ou optimiser la prise. Des changements dans les habitudes de vie, par exemple un repos nocturne suffisant ou une perte de poids chez les patients obèses, peuvent également contribuer à un contrôle satisfaisant des symptômes [2].
Si ces mesures ne donnent pas les résultats escomptés, un changement d’IPP et/ou une augmentation de la dose sont une possibilité pour optimiser le traitement [2]. Cependant, étant donné que chez de nombreux patients, le traitement par IPP seul ne suffit pas à soulager efficacement les symptômes, un traitement complémentaire à l’alginate est recommandé à ce stade. L’alginate entraîne une réduction significative des épisodes de reflux par le déplacement distal ou l’élimination complète de la poche d’acide [11]. Cette barrière physique protectrice en amont de la jonction gastro-œsophagienne supprime les épisodes de reflux acides et non acides pendant la journée et même en position couchée sur le dos [14,15]. Chez les patients atteints de la maladie de reflux non érosif (NERD), une combinaison avec l’alginate entraîne une amélioration significative des symptômes par rapport à une monothérapie par IPP (oméprazole) [16]. Des résultats comparables ont également été obtenus dans une étude randomisée en double aveugle portant sur 136 patients atteints de RGO dont les symptômes de reflux persistaient malgré le traitement par IPP. Dans ce cas, l’administration supplémentaire d’alginate (Gaviscon Advance) a réduit la fréquence et la gravité des brûlures d’estomac. En outre, les régurgitations et les symptômes nocturnes étaient beaucoup moins fréquents chez ces patients [17]. Cela démontre clairement l’intérêt d’un traitement combiné d’IPP et d’alginate.
Si les symptômes persistent, il est conseillé de consulter un gastro-entérologue pour un examen plus approfondi à l’aide de diagnostics fonctionnels spécialisés [2]. Les diagnostics différentiels importants sont ici :
- un œsophage hypersensible
- Troubles de la motilité de l’œsophage
- brûlures d’estomac fonctionnelles
En fonction du diagnostic, des options thérapeutiques adaptées ou plus poussées peuvent alors être envisagées.
Messages Take-Home
- L’acid pocket est une accumulation d’acide qui se forme en postprandial sur le contenu de l’estomac, juste en dessous de la jonction gastro-œsophagienne, et qui joue un rôle crucial dans le reflux gastro-œsophagien.
- L’alginate forme une barrière de protection physique devant la jonction gastro-œsophagienne.
- L’alginate entraîne une réduction significative des épisodes de reflux via le déplacement distal ou l’élimination complète de la poche d’acide.
- Au moins 1 patient sur 3 souffrant de RGO a un contrôle incomplet des symptômes sous traitement par IPP. Le succès du traitement du RGO doit être contrôlé par le médecin traitant, idéalement à l’aide d’un questionnaire.
- Un traitement add-on à l’alginate est recommandé en cas de symptômes intermittents (par ex. nocturnes) ou persistants sous traitement IPP.
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Littérature :
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