Si la goutte était autrefois considérée comme une maladie des personnes aisées, elle touche aujourd’hui tous les groupes de population en raison d’un mode de vie sédentaire. La maladie évolue souvent vers la chronicité, bien que des médicaments puissants et bien tolérés soient disponibles.
La goutte est, avec la chondrocalcinose (pseudo-goutte), l’une des maladies articulaires inflammatoires les plus courantes. L’hyperuricémie ou la goutte surviennent lorsque la formation d’acide urique dans l’organisme augmente ou que son excrétion diminue. L’acide urique peut se cristalliser et se déposer principalement dans les articulations et les reins.
Épidémiologie
Le risque de crise de goutte augmente avec la durée et le niveau de l’hyperuricémie : pour des taux d’acide urique supérieurs à 535 μmol/l d’acide urique, l’incidence annuelle de l’arthrite goutteuse est estimée à environ 5%. Environ 20 à 30 % des hommes et 3 % des femmes présentent des taux élevés d’acide urique [1]. La goutte symptomatique touche 1 à 2 % de la population adulte, avec une tendance à la hausse à un âge avancé. Avant la ménopause, la goutte primaire est très rare. L’hyperuricémie et la goutte sont associées respectivement à des facteurs de risque et à des maladies cardiovasculaires. La question de savoir si la maladie métabolique constitue un facteur de risque indépendant pour les maladies cardiovasculaires est controversée [2,3].
Causes
La forme primaire de la goutte est la plus fréquente. Il s’agit d’un trouble métabolique congénital qui est à la base d’un dysfonctionnement rénal avec une excrétion limitée d’acide urique. Très rarement, une surproduction d’acide urique (par exemple, le syndrome de Lesch-Nyhan).
La forme secondaire de la goutte peut avoir les causes suivantes :
- Maladies myéloprolifératives et lymphoprolifératives, psoriasis, syndrome de lyse tumorale
- Médicaments : ciclosporine, thiazides, diurétiques de l’anse, aspirine (jusqu’à 1000 mg/jour)
- Insuffisance rénale, polykystose rénale, hypertension artérielle
- Métabolique : hypothyroïdie, déydratation, acidose lactique, cétose, syndrome métabolique
Diagnostic de la crise de goutte aiguë
Tableau clinique : le diagnostic peut généralement être posé cliniquement, en particulier en présence d’un tableau clinique typique. Elle se caractérise par une monarthrite extrêmement douloureuse avec rougeur, échauffement et gonflement important qui se développe en 24 heures. Dans de nombreux cas, l’anamnèse révèle des facteurs de provocation (tab. 1). Lors de la première crise de goutte, l’articulation du gros orteil (podagra) est le plus souvent touchée, suivie de l’articulation du genou et de la cheville. Il n’est pas rare que les gaines tendineuses, les bourses séreuses et les parties molles soient également touchées. Si l’inflammation s’étend à la peau, l’aspect peut simuler un érysipèle. Chez les personnes âgées et les femmes, la goutte commence par être moins inflammatoire et est souvent oligo- à polyarticulaire. Les articulations des mains peuvent alors également être touchées [1].
Laboratoire : chez les patients souffrant de goutte, l’acide urique sérique, la formule sanguine différentielle, la CRP/BSR et la créatinine doivent être déterminés. Il convient de noter que l’acide urique peut être normal ou même réduit lors d’une crise de goutte. La CRP et la BSR sont généralement élevées. Ces deux paramètres inflammatoires ne permettent toutefois pas d’exclure d’autres arthrites. Les fractures de stress peuvent parfois provoquer des symptômes de goutte, qui ne sont alors pas accompagnés d’une augmentation de la CRP/BSR.
Ponction articulaire : la détection de cristaux d’acide urique dans le liquide synovial permet de confirmer le diagnostic. Une ponction articulaire n’est toutefois indiquée que dans les cas peu clairs. Le diagnostic différentiel se pose surtout avec l’arthrite septique ou la chondrocalcinose (pseudogoutte).
Radiographie : le diagnostic radiologique n’est pas nécessaire en cas de crise de goutte typique. Dans les cas peu clairs, la tomodensitométrie à double énergie et l’arthrosonographie permettent de visualiser les dépôts d’acide urique [1].
Dépistage des comorbidités : Les patients souffrant de goutte doivent systématiquement faire l’objet d’un dépistage des facteurs de risque ou des maladies cardiovasculaires (si ceux-ci ne sont pas déjà connus). Cela inclut le dysfonctionnement rénal, la maladie coronarienne, l’insuffisance cardiaque, la maladie artérielle périphérique, l’hyperlipidémie, l’hypertension et le diabète de type 2. On ne sait pas encore si le traitement réussi de la goutte influence le résultat des maladies cardiovasculaires.
Traitement de la crise de goutte
En cas de crise de goutte, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont les médicaments de choix, par exemple le naproxène 2× 500 mg/jour. L’acide acétylsalicylique n’est pas approprié et est même contre-indiqué à une dose allant jusqu’à 1 g/jour, car il inhibe l’excrétion d’acide urique. Cependant, l’acide acétylsalicylique à faible dose, pris en prophylaxie cardiovasculaire, ne doit pas être arrêté lors du traitement d’une crise de goutte.
Si les AINS sont contre-indiqués chez un patient (insuffisance rénale !), des glucocorticostéroïdes oraux peuvent être utilisés à court terme (par exemple, prednisone 20-40 mg/jour). L’expérience montre que l’injection intra-articulaire de stéroïdes (p. ex. 10 mg de triamcinolone et de lidocaïne), qui peut être effectuée dans le cadre d’une ponction articulaire diagnostique, est particulièrement efficace. L’injection de stéroïdes nécessite un diagnostic de certitude.
La colchicine fait toujours partie des médicaments de première intention selon les directives internationales actuelles [4,6]. Cette substance n’est toutefois pas disponible dans le commerce en Suisse.
Le canakinumab, antagoniste de l’interleukine 1, peut être utilisé dans des cas exceptionnels (off-label use) lorsque les médicaments mentionnés ci-dessus sont contre-indiqués ou inefficaces et que le patient subit des crises fréquentes [4,6].
Pendant la crise de goutte, le membre concerné doit être surélevé et refroidi autant que possible.
Prévention des crises en cas de goutte chronique
Réduction pharmacologique de l’acide urique : une hyperuricémie asymptomatique ne nécessite pas de traitement spécifique. En cas de crises de goutte répétées et dans certaines constellations à risque, une réduction médicamenteuse de l’acide urique est indiquée (tab. 2) [1,4], afin de prévenir de nouvelles crises de goutte. Une posologie progressive est recommandée afin de réduire le risque de récidive des poussées [4]. Le traitement ne doit être commencé qu’après la disparition d’une crise de goutte.
L’allopurinol, un inhibiteur de la xanthine oxydase, reste le médicament de référence pour réduire l’acide urique (tableau 3). Il doit être pris quotidiennement, un traitement intermittent à l’allopurinol s’est avéré moins fiable à long terme. Si une crise de goutte survient pendant un traitement établi à l’allopurinol, le traitement ne doit pas être interrompu.
Le febuxostat, nouvel inhibiteur sélectif de la xanthine oxydase, est une alternative lorsque l’allopurinol n’est pas toléré ou est contre-indiqué [4–6]. Il n’est pas nécessaire d’ajuster la dose en cas d’insuffisance rénale. Toutefois, le fébuxostat doit être utilisé avec modération chez les patients à haut risque cardiovasculaire, car les doutes concernant la sécurité cardiovasculaire du médicament n’ont pas encore été totalement levés [7].
Une réduction de l’acide urique peut également être obtenue par une augmentation de l’excrétion rénale. En Suisse, les uricosuriques Probenecid et Lesinurad sont disponibles. Le probénécide peut être utilisé en cas d’intolérance à l’allopurinol ou ajouté à celui-ci en cas d’efficacité insuffisante. Il n’est toutefois pas indiqué en cas de néphrolithiase ou d’insuffisance rénale. Lesinurad n’est autorisé qu’en traitement combiné avec l’allopurinol.
Prophylaxie anti-inflammatoire : les crises de goutte peuvent être plus fréquentes dans les semaines ou les mois qui suivent le début d’un traitement antiacide urique. C’est pourquoi la possibilité d’une prise prophylactique d’AINS à faible dose pendant six mois doit être discutée avec le patient. Des études ont montré que la prophylaxie réduit le risque de crises. Cependant, même sans prophylaxie, la plupart des patients ne souffrent pas de récidive de poussée pendant cette période [4].
Durée du traitement : de nombreux patients redeviennent symptomatiques ou développent des tophi à l’arrêt du traitement. Des tentatives de sevrage peuvent toutefois être envisagées en principe. Une étude de cohorte prospective a montré qu’une tentative d’arrêt après une réduction médicamenteuse réussie de l’acide urique était possible pendant au moins cinq ans [8].
Autres mesures à prendre : Si possible, les médicaments qui augmentent le taux d’acide urique doivent être arrêtés (par exemple, les diurétiques de l’anse, les diurétiques thiazidiques, l’aspirine). Chez les patients hypertendus, il est recommandé de passer au losartan, car cet antagoniste AT1 a un effet uricosurique (si la fonction rénale est suffisante) [1,4,6]. La prise régulière de vitamine C (500 mg/jour) réduit légèrement les taux d’acide urique.
Changement de régime alimentaire : tout patient souffrant de goutte ou d’hyperuricémie devrait recevoir des conseils sur son mode de vie ou son régime alimentaire. Le “régime goutte” ne vise pas seulement à réduire l’acide urique sérique et donc la fréquence des poussées, il vise également le syndrome métabolique et l’augmentation du risque cardiovasculaire qui y sont souvent associés [9]. Le régime traditionnel pauvre en purines n’est plus recommandé aujourd’hui. Une alimentation végétale riche en protéines s’avère même favorable malgré sa teneur élevée en purines [10]. Les recommandations nutritionnelles sont résumées dans l’encadré.
Messages Take-Home
- La crise de goutte aiguë se présente souvent sous la forme d’une monoarthrite, mais aussi d’une oligo- ou polyarthrite moins inflammatoire chez les personnes âgées.
- Le diagnostic se fait généralement sur la base de la clinique. Une ponction articulaire n’est nécessaire que dans les cas peu clairs.
- Les patients souffrant de goutte doivent systématiquement faire l’objet d’un dépistage des facteurs de risque cardiovasculaire.
- En cas de crise de goutte, les AINS ou les stéroïdes doivent être administrés le plus tôt possible.
- Un traitement antiacide urique est nécessaire en cas de crises de goutte répétées et dans certaines situations à risque.
Note : Ce travail est basé sur le mediX Guideline Goutte [11]. Les guidelines mediX sont discutées par plus de 600 médecins praticiens associés à mediX dans des cercles de qualité,
continuellement améliorés et régulièrement mis à jour.
Littérature :
- Dalbeth N, Merriman TR, Stamp LK : Gout. Lancet 2016 ; 388(10055) : 2039-2052.
- Martinez-Quintana E, Tugores A, Rodriguez-Gonzalez F : Niveaux d’acide urique sérique et maladie cardiovasculaire : le nœud gordien. J Thorac Dis 2016 ; 8(11) : E1462-E1466.
- Stack A, et al : Independent and conjoint associations of gout and hyperuricaemia with total and cardiovascular mortality. Q J Med 2013 ; 106(7) : 647-658.
- Richette P, et al : 2016 updated EULAR evidence-based recommendations for the management of gout. Annals of the Rheumatic Diseases 2017 ; 76 : 29-42.
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- Perez-Ruiz F, et al : Utiliser les niveaux d’urate de sérum pour déterminer la période sans symptômes de gouttes après le retrait d’un traitement d’affaiblissement de l’urate à long terme : une étude prospective. Arthritis Rheum 2006 ; 55(5) : 786-790.
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- Teng GG, et al : Sources alimentaires de protéines et risque de goutte accidentelle dans l’étude sur la santé des Chinois de Singapour. Arthritis Rheumatol 2015 ; 67(7) : 1933-1942.
- Huber F, Sajdl H, Beise U : mediX Guideline Goutte, 2017. www.medix.ch/wissen/guidelines/stoffwechselkrankheiten/gicht.html, état au 5.12.2018.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2018 ; 13(12) : 9-14