Les interactions médicamenteuses constituent toujours un défi dans la pratique clinique quotidienne. Certaines combinaisons peuvent entraîner un renforcement potentiellement mortel de l’effet ou une perte d’effet indésirable. En outre, les effets secondaires peuvent réduire davantage la qualité de vie des patients. Un petit rappel vous permet de rester à jour.
Les patients formuleraient le titre de cet article de manière plus contraignante : Mes médecins me protègent-ils à coup sûr contre les risques évitables liés à une combinaison inappropriée de médicaments ? Cela illustre la norme à respecter, qui va bien au-delà de la connaissance qu’a chaque médecin des combinaisons de médicaments dangereuses et qui inclut le contrôle des risques évitables du processus de traitement. L’AMTS exige plus que l’identification et la prévention des combinaisons dangereuses de médicaments par chaque médecin. Mais passons maintenant à ce que le médecin doit savoir sur les interactions médicamenteuses.
Augmentation potentiellement mortelle de l’effet des médicaments par combinaison
Certaines combinaisons de médicaments sont des “never-event”, c’est-à-dire qu’elles ne doivent jamais se produire. Un exemple, qui a également donné lieu à l’envoi d’une “lettre de la main rouge”, est la combinaison du 5-fluorouracil (5-FU) et de la brivudine, utilisée pour traiter le zona. La brivudine inhibe la dégradation de l’agent chimiothérapeutique, de sorte que des doses normales entraînent des taux toxiques. Des cas de décès ont été décrits. L’interaction est donc particulièrement insidieuse, car l’inhibition de la dégradation du 5 FU par la brivudine se poursuit jusqu’à 4 semaines après l’arrêt de la prise.
Perte d’efficacité des médicaments en raison d’une association inappropriée
La combinaison n’entraîne pas toujours des effets nouveaux ou renforcés, une perte d’efficacité est parfois possible, et le problème est que cela est particulièrement pertinent en oncologie. Ce sont surtout les inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK) qui sont concernés. Utilisés par exemple dans le traitement de la LMC, leur absorption est réduite par un traitement simultané avec un inhibiteur de la pompe à protons (IPP) [1]. Une étude a montré qu’environ 1 patient sur 4 traité par un ITK prenait également des IPP, ce qui était associé à une mortalité accrue [2]. Un risque que ni le médecin ni le patient ne prendraient s’ils le savaient. Cet exemple montre que des interactions médicamenteuses dangereuses peuvent également être causées par des médicaments en vente libre. L’automédication doit donc être demandée, inscrite sur le plan de médication et prise en compte lors de l’examen du traitement. Un autre exemple de ce type d’interaction est la combinaison du tamoxifène et de la paroxétine dans la prévention des récidives du cancer du sein. Le tamoxifène est un promédicament inactif dont l’activation est assurée par le cytochrome P450 (CYP2D6). Les médicaments qui inhibent le CYP2D6 peuvent donc empêcher l’action du tamoxifène [3]. La paroxétine est un inhibiteur puissant du CYP2D6 et ne doit donc pas être prescrite avec le tamoxifène.
Autres effets secondaires cliniquement significatifs et évitables des associations de médicaments
Le nombre de combinaisons de médicaments prescrites est impressionnant. Une étude menée auprès des quelque 9 millions d’assurés de BARMER a permis de quantifier ce phénomène [4] : Au cours de l’année considérée, 1860 principes actifs de médicaments différents ont été prescrits en ambulatoire. Les patients se sont vu prescrire simultanément 454 012 combinaisons de deux substances actives différentes. Cela illustre le fait que la vérification du contenu n’est possible qu’avec un support électronique [5]. Néanmoins, il convient de connaître les interactions particulièrement fréquentes et pertinentes et de savoir comment les éviter. Les combinaisons de médicaments qui augmentent le risque de mort subite d’origine cardiaque sont fréquentes, mais tout aussi méconnues.
Risque médicamenteux de troubles du rythme ventriculaire et de mort subite d’origine cardiaque
Les médicaments qui entraînent un allongement de l’intervalle QT sur l’ECG peuvent provoquer des arythmies cardiaques potentiellement mortelles, appelées torsades de pointes. Un risque qui peut être augmenté par l’association de plusieurs médicaments allongeant l’intervalle QT. L’association de médicaments entraînant un allongement de l’intervalle QT doit donc être évitée et est souvent explicitement contre-indiquée. En cas de prescription de médicaments présentant un risque de mort subite d’origine cardiaque, la réalisation d’un ECG est susceptible de mettre en évidence un allongement de l’intervalle QT. L’hypokaliémie augmente le risque d’arythmies dangereuses. Le risque de mort cardiaque subite est bien établi pour l’azithromycine [6], ainsi que pour les antibiotiques macrolides et les fluoroquinolones. Pour le citalopram/escitalopram, le risque est tel que des lettres rouges et le retrait de l’autorisation de mise sur le marché de la dose unique la plus élevée ont été envoyés [7,8]. Il faut savoir que l’oméprazole augmente les taux d’action du citalopram de 50% [9]. Une combinaison à éviter à tout prix ! Une liste de médicaments allongeant l’intervalle QT est disponible sur www.crediblemeds.org (après enregistrement).
Risque d’effets secondaires anticholinergiques
Pour certains médicaments tels que les antiémétiques, les médicaments contre la maladie de Parkinson, les spasmolytiques, les bronchodilatateurs et les mydriatiques, les effets anticholinergiques sont l’effet principal du médicament et sont souhaités. Cependant, pour de nombreux autres médicaments, les effets anticholinergiques sont des effets secondaires indésirables du traitement. Ces effets indésirables – présentés dans l ‘aperçu 1 – ne réduisent pas seulement la qualité de vie, ils sont également dangereux. Une étude cas-témoins chez des personnes âgées a montré que le traitement par des médicaments ayant des effets anticholinergiques marqués doublait le risque de chute et de fracture du col du fémur [10]. On savait déjà que les médicaments ayant des effets secondaires anticholinergiques augmentaient le taux de chute chez les femmes âgées [11]. Une autre étude démontre maintenant que ce risque n’existe pas seulement chez les femmes âgées, mais aussi chez les femmes plus jeunes [12]. Les médicaments anticholinergiques entraînent également une augmentation de la mortalité et des symptômes de démence. Une étude a décrit une augmentation de 31% de la mortalité chez les patients âgés en maison de retraite en cas de traitement par plusieurs médicaments anticholinergiques [13]. Une mortalité accrue a également été démontrée chez les patients âgés sous traitement anticholinergique après leur sortie de l’hôpital [14,15].
Le traitement simultané avec plusieurs médicaments ayant des effets secondaires anticholinergiques doit donc être évité autant que possible. Pour cela, il faut savoir de quels principes actifs de médicaments il s’agit. En 2018, un groupe de travail de Munich a rassemblé les systèmes de classification existants. Un total de 104 principes actifs médicamenteux à faible effet anticholinergique, 18 principes actifs à effet anticholinergique modéré et 29 principes actifs à fort effet anticholinergique ont été identifiés [16]. Le tableau 2 présente les principes actifs de médicaments ayant une forte action anticholinergique selon Kiesel et ses collaborateurs.
Autres interactions critiques à connaître
Une sélection de combinaisons de médicaments particulièrement critiques a été publiée dans le Deutsches Ärzteblatt sous le titre “Klug-entscheid-Empfehlungen” et “No-Gos” (tableau 1) .
Enfin, un classique, le “Tripple Whammy”.
L’association dangereuse d’un IEC (ou d’un antagoniste des récepteurs AT1), d’un diurétique et d’un AINS, également appelée “néphrectomie chimique”, devrait maintenant être suffisamment connue et évitée. Cependant, les analyses effectuées auprès des assurés de BARMER montrent que chez près d’un patient sur 10 sous IEC ou antagoniste des récepteurs AT1, un diurétique et un AINS ont été prescrits simultanément [4]. Les inhibiteurs de l’ECA et les antagonistes des récepteurs AT1 réduisent le taux de filtration glomérulaire, les diurétiques réduisent le volume intravasculaire et les AINS inhibent la perfusion rénale dépendante des prostaglandines. Une insuffisance rénale aiguë, définie comme une augmentation d’au moins 50% de la créatinine sérique, survient chez un patient sur 158 avec cette combinaison en l’espace d’un an .
Risques liés aux interactions entre les médicaments et les maladies
Mais les interactions à risque ne se produisent pas seulement entre les médicaments. Outre les interactions médicament-médicament, il faut également tenir compte des interactions médicament-maladie. La prescription (ou l’automédication) d’AINS chez les patients souffrant d’insuffisance cardiaque, par exemple, entraîne une aggravation des symptômes de l’insuffisance cardiaque par le biais de la rétention de liquide et augmente la fréquence des hospitalisations – évitables [19]. L’acidose lactique due à la prescription de metformine en cas de fonction rénale réduite fait également partie de cette catégorie – en fait connue mais généralement ignorée [20]. Et c’est peut-être le message le plus important de cet article : Prenez en compte les risques d’interaction que vous n’avez pas encore observés ! L’homme n’est pas particulièrement doué pour gérer raisonnablement des risques très rares [21,22], il en va de même pour les médecins en ce qui concerne la gestion des risques d’interactions [23]. D’un autre côté, n’utilisez-vous pas une ceinture de sécurité en voiture, même si elle ne vous a probablement pas encore sauvé la vie ? Concernant l’acidose lactique : elle existe [24], en Allemagne peut-être 30-50 cas par an, environ 30-50% sont mortels. De même, une revue systématique montre qu’au moins un DFGe <30 ml/Min. mit einem erhöhten – in etwa verdoppelten – Risiko für Laktatazidose verbunden ist, während bei>45 ml/min. ce n’est pas le cas et que la metformine est associée à une moratlité plus faible [25].
Conséquences et recommandations pour la pratique
La tenue d’un plan de médication, en particulier pour les patients polypharmaciens, est une première étape nécessaire pour améliorer l’AMTS. Celui-ci doit être complet et doit être emporté lors de chaque visite chez le médecin. Une évidence qui, malheureusement, fait souvent défaut dans la pratique : les patients polypharmaciens ne peuvent généralement pas donner d’informations sur les médicaments qu’ils prennent et un plan de médication à jour et complet fait souvent défaut. Expliquez à vos patients la nécessité d’un plan de médication et apportez votre soutien si nécessaire. L’exhaustivité est importante à cet égard : les patients souffrant de multimorbidité sont traités médicalement par 3 à 5 médecins. La documentation des ordonnances du médecin généraliste est un début, mais ce n’est pas encore la solution au problème. L’étape suivante consiste à vérifier chaque ordonnance à l’aide d’un logiciel, y compris la compatibilité avec la médication globale du patient (y compris l’automédication). Au moins chez les patients polypharmaciens, la médication totale devrait être contrôlée régulièrement, c’est-à-dire au moins une fois par an. Il ne s’agit pas seulement de vérifier l’absence d’interactions dangereuses, mais aussi d’examiner l’indication, le choix de la substance active – en tenant compte de l’âge du patient – et la posologie – en tenant compte notamment de la fonction rénale, c’est-à-dire du taux de filtration glomérulaire.
Formation continue sur les risques AMTS en tant que processus continu
Typiquement, un médecin prescrit régulièrement 20 à 50 médicaments [4]. Pour améliorer l’AMTS, commencez donc par vous intéresser aux médicaments que vous prescrivez fréquemment. Identifiez les interactions de ces médicaments que vous souhaitez reconnaître et éviter, et revoyez vos prescriptions en conséquence. Assurez-vous d’être informé en toute sécurité des nouveaux signaux de risque concernant les médicaments. Cela est possible, par exemple, en s’abonnant au Drug Safety Mail gratuit de la Commission des médicaments du corps médical allemand (www.akdae.de/Service/Newsletter/index.php). Le guide S2K “Traitement médicamenteux en cas de multimorbidité”, qui sera publié dans quelques mois par l’AWMF et qui sera continuellement élargi en tant que Living Guideline, constituera également une aide importante. Enfin, ne vous découragez pas si vous ne parvenez pas à résoudre tous les problèmes en une seule étape.
Messages Take-Home
- Pour prescrire en toute sécurité, il faut connaître l’ensemble de la médication.
- Des interactions dangereuses peuvent également être causées par l’automédication.
- Les effets anticholinergiques et d’allongement de l’intervalle QT sont associés à des dommages pertinents pour le patient et doivent être pris en compte.
doivent être respectées. - Tenez également compte des risques d’interaction avec les ordonnances que vous n’avez pas encore observés vous-même !
- Utilisez un support électronique approprié pour contrôler la thérapie médicamenteuse.
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