La création d’une réserve de fertilité pour des indications non médicales (congélation sociale) est désormais possible et doit être considérée comme cliniquement établie. En règle générale, la congélation sociale consiste à prélever des ovocytes après un traitement de stimulation ovarienne et à les conserver sans les féconder (congélation sociale d’ovules). Les chances de succès sont limitées, en particulier si la cryoconservation est effectuée à un âge supérieur à 35 ans. Les chances de réussite dépendent également de l’expertise du centre de fertilité. Si les ovocytes sont utilisés à un âge plus avancé de la femme (>vers 40 ans), les risques de grossesse augmentent en raison de l’âge.
Les progrès de la médecine et de la biologie de la reproduction permettent désormais de recourir à la stimulation hormonale pour obtenir et cryoconserver des ovocytes avec un risque minime d’hyperstimulation. Ces techniques sont utilisées depuis quelques années comme mesures de conservation de la fertilité dans le cadre d’indications médicales, par exemple avant des chimiothérapies ou des radiothérapies. Ces techniques ayant été validées pour des indications médicales, il n’y avait plus de pas à franchir pour pratiquer des mesures de préservation de la fertilité pour des indications non médicales. Cette “congélation sociale” fait toutefois l’objet de controverses.
Création d’une réserve de fertilité – procédure pratique
En principe, il est possible de conserver aussi bien des ovocytes non fécondés que du tissu ovarien. Dans le cas d’un partenariat stable, il est également possible de stocker des ovocytes fécondés sous forme de zygotes ou d’embryons. Ces trois mesures sont appliquées par les centres germanophones du réseau “FertiPROTEKT” et du réseau suisse “Fertisave” en cas d’indications médicales, par exemple avant une chimiothérapie ou une radiothérapie [1]. Comme la cryoconservation des ovocytes est mieux établie et ne nécessite pas de laparoscopie, les ovocytes sont généralement conservés. Cette pratique est souvent appelée “congélation sociale d’œufs”. Nous allons maintenant nous concentrer sur la cryoconservation des ovocytes.
Pour une congélation sociale d’ovules, on procède d’abord à une stimulation par gonadotrophines pendant 2 semaines. Il s’agit de la même procédure que le traitement classique de fécondation in vitro. Les follicules sont aspirés par voie vaginale, généralement sous une courte anesthésie. La cryoconservation est ensuite effectuée. La vitrification, une nouvelle technique de congélation, permet désormais de conserver les ovocytes très cryosensibles avec des taux de survie élevés. En fonction du nombre d’ovocytes obtenus, plusieurs cycles de stimulation peuvent être nécessaires.
Si la patiente souhaite utiliser les ovocytes, par exemple parce qu’elle est devenue trop âgée pour concevoir avec ses ovocytes restants, ceux-ci sont décongelés, fécondés avec les spermatozoïdes de son partenaire et transférés au stade embryonnaire. Le coût d’un traitement de stimulation et du prélèvement des ovocytes, y compris les médicaments nécessaires, s’élève à environ 4000 à 5000 CHF, le stockage coûtant en outre environ 300 à 400 CHF par an. Si les ovocytes sont utilisés ultérieurement, des coûts de fertilisation et de cycle de transfert s’ajoutent.
Quelles sont les femmes qui constituent une réserve de fertilité ?
En 2013, le registre FertiPROTEKT, qui couvre l’Allemagne, une partie de la Suisse et l’Autriche, a recueilli les motivations pour une congélation sociale [2] et a été interrogé à nouveau en 2016. La plupart des femmes ont entre 36 et 40 ans et ont cité comme principale raison de recourir au sociel freezing le fait de ne pas avoir de partenaire (www.fertiprotekt.ch). Cela signifie que la plupart des femmes ne pratiquent pas la congélation sociale comme un placement à long terme d’une réserve de fertilité. Elles cherchent plutôt à recourir à la congélation sociale à court terme et relativement tard, à la suite d’un changement inattendu de situation, par exemple la séparation du partenaire. De même, selon les données publiées, ce n’est pas tant la carrière professionnelle qui compte que la crainte de ne pas rencontrer à temps le bon partenaire pour fonder une famille [3].
Les données sur la fréquence de la congélation sociale en Suisse sont insuffisantes. Il existe bien un registre du réseau suisse “Fertisave” de la Société suisse de médecine de la reproduction (SSMR), mais comme la déclaration est volontaire, les chiffres ne sont pas représentatifs. Selon l’expérience de l’auteur, il ne devrait pas y avoir plus de quelques centaines de cycles de congélation sociale par an en Suisse.
Quelles sont les chances de succès ?
Le succès dépend en grande partie du nombre d’ovocytes obtenus, de l’âge de la femme au moment du prélèvement et de l’expertise du centre.
Le tableau 1 présente le nombre d’ovocytes obtenus par cycle de stimulation dans trois classes d’âge selon le registre FertiPROTEKT(www.fertiprotekt.ch) et les taux de natalité théoriques ont été calculés. La base de calcul des taux de natalité était le nombre d’ovocytes dans les trois groupes d’âge. Il convient de noter que chez les femmes de ≥35 ans, la congélation sociale a été principalement pratiquée lorsque la réserve ovarienne était élevée. Ainsi, ces chiffres ne sont qu’indicatifs et peuvent varier, en particulier chez les femmes âgées ayant une faible réserve ovarienne.
A titre d’orientation approximative, un cycle de stimulation à l’âge de <35 ans, avec une bonne réserve ovarienne et une expertise élevée du centre de fertilité, permet d’envisager un taux de naissance d’environ 40%. Avec 2 cycles de stimulation, les chances de naissance cumulées augmentent mathématiquement à 64%, et à 78% avec 3 cycles de stimulation. Dans le cas d’une congélation sociale à environ 40 ans, les chiffres devraient être au maximum deux fois moins élevés.
Quel est le degré de sécurité de la congélation sociale ?
Les risques pertinents mais très rares de la procédure sont les saignements et les blessures lors de la ponction folliculaire, ainsi que la survenue d’un syndrome d’hyperstimulation sévère. Les données sur la sécurité de la conservation à long terme des ovocytes vitrifiés sont encore limitées.
Le risque de malformation pour les enfants est un élément pertinent dans le débat sur la congélation sociale. Les techniques de reproduction assistée sont associées à un risque accru de malformations. Le taux de malformations était de 8,3% après une FIV, contre 5,8% après une conception spontanée [4].
De nouvelles études montrent que des modifications organiques fonctionnelles, basées sur des modifications épigénétiques, pourraient également être associées à la fertilisation in vitro per se. Ainsi, Scherrer et al. [5] a mis en évidence chez les enfants FIV des modifications de la fonction vasculaire comme chez les diabétiques de type I. Celles-ci sont probablement plus susceptibles d’être dues à des modifications épigénétiques induites par la FIV. C’est pourquoi il est au moins possible que la fécondation in vitro puisse entraîner un risque accru pour les enfants, même chez les femmes en bonne santé et supposées fertiles.
Il faut toutefois tenir compte du fait que les ovocytes sont cryoconservés à un âge plus jeune et utilisés à un âge plus avancé de la femme. Comme le taux d’aneuploïdie augmente chez la mère à partir de 35 ans, il est possible que les risques supplémentaires de malformations liés à la FIV soient compensés, du moins en partie, par l’utilisation d’ovocytes plus jeunes.
Considérations obstétricales
Un problème majeur de la création d’une réserve de fertilité est la possibilité d’une grossesse à un âge avancé. Les obstétriciens sont déjà confrontés à ce problème en raison du nombre croissant de dons d’ovules à l’étranger. Dans de nombreux pays , l’âge maternel maximal pour un transfert d’embryon après un don d’ovocytes est limité à environ 50 ans. Mais dans certains pays, même cette limite d’âge élevée est dépassée.
En cas de grossesse à ≥45 ans, le risque d’hypertension gestationnelle est multiplié par 6,5, celui de prééclampsie par 5,4 et celui de diabète gestationnel par 3,8 par rapport aux femmes enceintes de 30 ans [6]. Il est essentiel d’attirer l’attention des femmes sur ces risques. Il leur est conseillé d’utiliser les ovocytes jusqu’à 45 ans au maximum, l’âge limite biologique pour une conception spontanée.
Considérations éthiques
Les éthiciens considèrent l’autonomie de la femme comme un bien essentiel, sur la base duquel elle peut décider elle-même de créer ou non une réserve de fertilité [7]. En outre, les raisons sociales ne sont souvent pas clairement séparées des raisons médicales. La menace d’une baisse de la fertilité à un âge avancé, par exemple, peut également être interprétée comme une indication médicale.
Néanmoins, la situation en matière de congélation sociale doit être examinée à plusieurs niveaux. En décidant de conserver des ovocytes non fécondés, la femme ne doit certes assumer que les risques pour sa propre santé. Toutefois, si les ovocytes sont utilisés pour une grossesse, elle assume également les risques pour la santé de l’enfant : un traitement par FIV en tant que tel et une grossesse à un âge avancé comportent des risques accrus pour l’enfant. Dans une prise de position de la Commission nationale d’éthique dans le domaine de la médecine humaine en Suisse, il a en outre été indiqué que la conservation des propres ovules ne résolvait ni le problème de la recherche d’un partenaire, ni celui de la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale [8].
Conclusion
La congélation sociale, au sens de la cryoconservation d’ovocytes non fécondés, est possible et est également proposée en Suisse par des centres de fertilité expérimentés. Les chances de succès sont les plus élevées à un jeune âge (<30 ans), mais il est souvent impossible d’évaluer à cet âge si la congélation sociale est nécessaire. Pour les femmes plus âgées (>35ans), les chances de succès diminuent considérablement. Ainsi, la fenêtre idéale pour une congélation sociale devrait se situer entre 30 et 35 ans.
Littérature :
- von Wolff M, Dian D : Préservation de la fertilité chez les femmes atteintes de tumeurs malignes et de traitements gonadotoxiques. Dtsch Arztebl Int 2012 ; 109 : 220-226.
- von Wolff M, Germeyer A, Nawroth F : Préservation de la fertilité pour des raisons non médicales : controversée mais de plus en plus courante. Dtsch Arztebl Int. 2015 ; 112 : 27-32.
- Lallemant C, Vassard D, Nyboe Andersen, et al. : Congélation d’œufs médicale et sociale : enquête basée sur Internet sur les connaissances et les attitudes des femmes au Danemark et au Royaume-Uni. Acta Obstet Gynecol Scand 2016 ; 95 : 1402-1410.
- Davies MJ, Moore VM, Willson KJ, et al : Technologies de reproduction et risque de malformations congénitales. N Engl J Med 2012 ; 366 : 1803-1813.
- Scherrer U, Rimoldi SF, Rexhaj E, et al : Systemic and pulmonary vascular dysfunction in children conceived by assisted reproductive technologies. Circulation 2012 ; 125 : 1890-1896.
- Haslinger C, Stoiber B, Capanna F : Grossesses post-partum et risques liés à un âge maternel très avancé. Swiss Med Wkly 2016 ; 146:w14330.
- Mertes H, Pennings G : Congélation sociale des œufs : pour le meilleur, pas pour le pire. Reprod Biomed En ligne. 23 : 824-829.
- NEKCNE – Commission nationale d’éthique dans le domaine de la médecine humaine, avis n° 22/2013, Berne, novembre 2013. Disponible sur : www.nek-cne.ch.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2017 ; 12(4) : 30-33