Depuis la coronapandémie, le nombre de publications sur les symptômes de fatigue a augmenté de manière exponentielle, ce qui reflète le très grand intérêt actuel pour ce sujet. Les médecins connaissent depuis longtemps les symptômes de fatigue qui accompagnent les cancers, mais aussi d’autres maladies chroniques comme les maladies auto-immunes.
Depuis la coronapandémie, le nombre de publications sur les symptômes de fatigue a augmenté de manière exponentielle, ce qui reflète le très grand intérêt actuel pour ce sujet. Les médecins connaissent depuis longtemps les symptômes de fatigue qui accompagnent les cancers, mais aussi d’autres maladies chroniques comme les maladies auto-immunes. Dans cet article, nous nous intéresserons exclusivement à la fatigue en tant que symptôme associé aux maladies auto-immunes, en particulier aux maladies rhumatismales inflammatoires. Il faut le distinguer du syndrome de fatigue chronique (SFC) (encéphalomyélite myalgique ME), qui n’est pas traité dans cet article.
Définition de la fatigue
La fatigue n’est pas synonyme de fatigue et/ou d’épuisement. Les patients souffrant de fatigue se plaignent d’un sentiment insurmontable et souvent très prolongé de fatigue, d’épuisement et de manque d’énergie. Vous vous sentez généralement privé de toute énergie pendant une période prolongée. Même les activités physiquement légères comme la cuisine, les appels téléphoniques ou d’autres activités quotidiennes sont perçues comme difficilement réalisables et ne sont pas améliorées par des périodes de repos suffisantes (comme le sommeil et/ou les vacances). En général, l’épuisement n’est pas directement lié à un effort physique/mental ou à un stress antérieur. La fatigue se manifeste non seulement physiquement, mais aussi psychologiquement et mentalement. En cas de fatigue prononcée, les conséquences peuvent être le retrait social, la limitation de nombreuses activités privées et professionnelles et, en fin de compte, une diminution considérable de la qualité de vie liée à la santé.
Fatigue en cas de rhumatisme
Malgré les progrès révolutionnaires réalisés dans le traitement des maladies systémiques rhumatismales, 50 à 70% des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde (PR) et 67 à 90% des patients atteints de lupus érythémateux disséminé (LED) se plaignent encore aujourd’hui de symptômes de fatigue au cours de leur maladie, un tiers des patients atteints de LED déclarant une fatigue marquée [1,2]. Les femmes sont plus souvent touchées que les hommes. Les symptômes de fatigue ont également une grande importance socio-médicale et sont, entre autres, un prédicteur de coûts élevés (surtout indirects) liés à la maladie, de visites fréquentes chez le médecin, de longues périodes d’arrêt de travail et de retraites anticipées [3].
Bien que le symptôme de la fatigue soit connu depuis longtemps, il a été identifié pour la première fois en 2002 comme un paramètre important de rapport au patient (Patient-Reported-Outcome-Parameter, PRO) pour les essais cliniques en rhumatologie et il est régulièrement enregistré dans les essais cliniques depuis 2005 [4].
Dans la pratique quotidienne, le symptôme devrait également être interrogé de manière routinière et une fatigue non spécifique devrait être distinguée d’une symptomatologie de fatigue typique par l’anamnèse. Malheureusement, il n’existe à ce jour aucun biomarqueur permettant d’évaluer clairement et objectivement les symptômes de la fatigue. En particulier, la CRP au moment du diagnostic ne joue pas non plus de rôle en tant que prédicteur de l’évolution à 2 et 5 ans d’une symptomatologie de fatigue, mais les facteurs mentaux (comme la dépressivité, etc.) le font. Comme il s’agit d’une symptomatologie subjective, les études cliniques utilisent en premier lieu différents questionnaires génériques sur la fatigue, mais aussi des questionnaires spécifiques à la maladie, qui permettent également de différencier différentes dimensions de la fatigue (par ex. fatigue physique, cognitive, émotionnelle). Dans la pratique clinique, on peut très bien travailler avec une échelle Likert ou Fatigue VAS pour des raisons de temps. Leur utilisation est surtout recommandée pour le suivi (par exemple sous traitement).
Physiopathologie
La physiopathologie de la fatigue est très complexe et n’a pas encore été élucidée en détail. Dans les maladies aiguës, l’association de l’inflammation et de la fatigue a constitué un avantage évolutif. Le malade se reposait, restait à la maison (minimisant ainsi son activité psychomotrice), se nourrissait peu et utilisait son énergie uniquement pour se défendre contre l’infection. Nous parlons également ici de “sickness behavior”, un comportement adaptatif de retrait et de ménagement qui favorisait le processus de guérison et représentait donc un avantage évolutif.
Le contexte biologique réside dans les effets sur le cerveau des cytokines pro-inflammatoires (TNF-alpha, interkeukin-1 et interleukin-6) sécrétées dans le cadre de la maladie. Ces effets ont été étudiés en détail dans des modèles animaux. Les récepteurs de l’interleukine-1 bêta se trouvent dans différentes régions du cerveau et les injections d’interleukine-1 bêta dans les ventricules peuvent déclencher un “sickness behavior” (comportement de maladie à médiation immunitaire).
Dans le cas de maladies chroniques telles que les maladies auto-immunes, le lien entre les symptômes de fatigue et l’activité de la maladie est également indiscutable. Là encore, les effets périphériques des cytokines pro-inflammatoires telles que l’interleukine-1 bêta, l’interleukine-6, le TNF-alpha, etc., mais aussi leurs effets pro-inflammatoires dans le SNC avec induction d’une inflammation centrale et d’un “comportement maladif” (fatigue, dépressivité, anxiété, perte d’appétit, baisse des capacités cognitives) jouent un rôle important. Les relations complexes entre l’inflammation, les métabolites cérébraux (ATP, NADH, hexokinase, etc.), les facteurs neurovasculaires et l’action de neurotransmetteurs distincts dans certaines zones du cerveau et la survenue de la fatigue sont de mieux en mieux comprises [5].
Comme on peut donc s’y attendre, un traitement rapide et efficace de la maladie sous-jacente (par exemple avec des antagonistes du TNF) entraîne généralement aussi une amélioration de la fatigue. Cependant, l’association entre la fatigue et l’activité de la maladie est généralement faible dans les maladies rhumatismales [6]. Un nombre non négligeable de patients continuent de souffrir de fatigue malgré une rémission/une faible activité de la maladie. C’est souvent le cas des patients chez qui l’activité objective de la maladie était déjà faible au début de la maladie (par exemple, pas de constellation inflammatoire, pas de gonflement des articulations, etc.) et dont l’évaluation globale par les patients était élevée, par exemple dans le SDAI [7].
D’autres facteurs doivent donc jouer un rôle dans l’apparition d’une symptomatologie de fatigue. Par exemple, la douleur et la dépressivité sont très bien corrélées avec les symptômes de la fatigue. La fatigue est donc un phénomène multidimensionnel chez les patients souffrant d’une maladie rhumatismale inflammatoire sous-jacente. Outre la maladie rhumatismale sous-jacente, de nombreux autres facteurs peuvent être en cause, tels que les comorbidités, le mode de vie, les facteurs psychosociaux ainsi qu’un syndrome de fibromyalgie secondaire, fréquent dans les maladies rhumatismales. Cette dernière se manifeste non seulement par des douleurs, mais aussi généralement par des troubles du sommeil qui peuvent encore aggraver la fatigue (figure 1).
Diagnostic
Si un patient se plaint de fatigue, il faut toujours commencer par exclure d’autres causes (éventuellement faciles à traiter). Ainsi, la symptomatologie de fatigue peut également être due au traitement médicamenteux par des antihypertenseurs (β-bloquants, diurétiques), des antihistaminiques, des benzodiazépines, etc. Une anémie peut également entraîner une fatigue et peut être facilement traitée par un traitement (par exemple en cas de carence en fer ou de carence en vitamine B12). Même les médicaments antirhumatismaux très fréquemment utilisés, comme le MTX, peuvent avoir pour effet secondaire de provoquer une fatigue chez le patient, qui peut disparaître à l’arrêt du médicament. Une carence en vitamine D, plus fréquemment observée chez les patients atteints de maladies rhumatismales, a également été associée à la fatigue, bien que les données à ce sujet soient controversées. Dans une petite étude d’observation portant sur 80 patients présentant une carence en vitamine D, la fatigue associée a été améliorée par une supplémentation en vitamine D [8]. D’autres causes de symptômes de fatigue qui ne sont pas liées à la maladie sous-jacente (par exemple, des troubles métaboliques) sont énumérées dans le tableau 1.
Thérapie
En présence d’une maladie rhumatismale active, il convient de mettre en place rapidement un traitement efficace conforme aux lignes directrices. L’éventail thérapeutique s’est considérablement élargi au cours des dernières décennies. Outre les csDMARDs classiques (conventional synthetic Disease-Modifying-Antirheumatic Drugs) tels que le méthotrexate, le léflunomide dans la PR ou l’hydroxychloroquine dans le LED, on utilise aujourd’hui très tôt des bDMARDs (appelés biologiques, “biological DMARDS”) tels que les antagonistes du facteur de nécrose tumorale alpha (TNF-alpha), les antagonistes des récepteurs de l’interleukine 6, et bien d’autres. Depuis quelques années, il existe en outre un nouveau groupe de substances, les tsDMARDS (targeted synthetic DMARDs), dont font partie par exemple les inhibiteurs de la Janus kinase (JAK).
L’objectif du traitement des maladies rhumatismales est la rémission ou une activité aussi faible que possible de la maladie. Cela vaut pour toutes les maladies rhumatismales inflammatoires. Pour y parvenir, un contrôle étroit et, si nécessaire, une adaptation rapide du traitement sont nécessaires. Dans la plupart des cas, la fatigue s’améliorera avec l’amélioration de l’activité de la maladie [9], bien que l’association entre l’activité de la maladie et la fatigue ne soit pas très prononcée. Une analyse Cochrane n’a pu mettre en évidence que des améliorations faibles à modérées de la fatigue en cas de PR active grâce à un traitement biologique [10]. Les auteurs n’ont pas trouvé de différence entre les antagonistes du TNF et les autres médicaments biologiques en ce qui concerne l’amélioration de la fatigue. Le bon effet analgésique des inhibiteurs JAK pourrait éventuellement expliquer le fait qu’ils aient eu un meilleur effet sur les symptômes de fatigue chez les patients atteints de PR par rapport à un antagoniste du TNF (adalimumab) dans une étude [11]. Le traitement médicamenteux spécifique des rhumatismes doit toujours être accompagné d’une anamnèse médicamenteuse détaillée afin d’arrêter, dans la mesure du possible, les médicaments qui déclenchent ou aggravent la fatigue. Les comorbidités (par exemple l’insuffisance rénale, la BPCO, etc.) doivent également être répertoriées et, de préférence, traitées de manière cohérente et interdisciplinaire.
Étant donné que des facteurs tels que la douleur, la dépression et les troubles du sommeil peuvent également avoir une importance physiopathologique, seule une thérapie multimodale est susceptible d’être efficace à long terme. L’activité physique et les interventions psychologiques peuvent avoir un effet bénéfique sur les symptômes de la fatigue. Ainsi, une analyse Cochrane publiée dès 2013 a pris en compte 6 études portant sur un total de 388 patients atteints de PR. L’activité physique a permis d’améliorer la fatigue de 14 points sur une échelle EVA de 0 à 100 par rapport au groupe témoin. Le nombre nécessaire de traitements (NNT) pour obtenir un effet favorable était [12].
Récemment, une autre étude prospective randomisée à trois bras a été publiée pour évaluer l’efficacité de la thérapie cognitivo-comportementale et des programmes d’exercices personnalisés par le biais d’un guidage par télécommunication. 274 femmes et 92 hommes souffrant de différentes maladies rhumatismales inflammatoires ont été inclus. Au bout d’un an, la thérapie cognitivo-comportementale et le programme d’exercices personnalisés ont tous deux permis d’améliorer les symptômes de la fatigue par rapport à une prise en charge normale [13]. Cependant, dans l’ensemble, les études sur l’efficacité de l’activité physique sur la fatigue dans les maladies rhumatismales inflammatoires sont encore peu nombreuses.
Cependant, de nombreuses études menées chez des patients oncologiques ont déjà montré une amélioration de la fatigue grâce à l’augmentation de l’activité physique. Une augmentation de l’activité physique augmente non seulement la résistance cardiopulmonaire, mais a également de nombreux effets psychosociaux positifs, tels que la réduction de la dépression, la diminution de l’anxiété, l’augmentation des contacts sociaux et, en fin de compte, un meilleur sommeil. Les troubles du sommeil devraient être régulièrement abordés avec les personnes concernées et les mesures d’hygiène du sommeil devraient être indiquées, ainsi que, le cas échéant, un diagnostic élargi du sommeil. Le stress doit également être abordé avec les personnes concernées. Dans ce domaine, une étude récemment publiée portant sur 650 patients atteints de LED, principalement des femmes (92%), a montré que le stress est un prédicteur significatif de l’apparition de la fatigue au cours de la maladie et constitue donc également une cible thérapeutique potentiellement importante [14]. En ce qui concerne les interventions psychosociales (Mind-Body-Medicine, interventions de pleine conscience, yoga, psychoéducation, etc.), il n’existe que peu d’études pour les patients atteints de rhumatisme, ce qui est probablement dû en partie à la faible volonté de les financer. Cependant, dans le cas des maladies oncologiques, il y a désormais suffisamment de preuves que la fatigue peut être améliorée par l’activité physique et des mesures psychosociales [15]. Dans ce contexte, une mesure de réadaptation complexe multimodale peut également conduire à une amélioration significative de la fatigue et de la qualité de vie, comme nous avons pu le montrer dans nos propres études [16,17]. Malheureusement, de telles études n’ont pas encore été réalisées pour les patients atteints de rhumatismes.
Messages Take-Home
- La fatigue est un symptôme fréquent dans les maladies rhumatismales inflammatoires et doit faire l’objet d’une anamnèse régulière.
- La fatigue est associée à l’activité de la maladie, en particulier à la douleur et à des facteurs mentaux tels que la dépressivité.
- La thérapie comprend le traitement médicamenteux systématique de la maladie de base, mais aussi des mesures non médicamenteuses.
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