Prendre conscience de ses propres sentiments, pensées, impulsions d’action et sensations sans être sous la pression d’agir – tel est l’objectif de la pleine conscience. Cette méthode est particulièrement adaptée à la prévention des rechutes en cas de dépression, de troubles anxieux et de troubles obsessionnels compulsifs.
Le concept de pleine conscience est issu de la pratique de la méditation bouddhiste et peut être compris, selon la formulation de Jon Kabat-Zinn, comme une orientation de l’attention vers le moment présent, de manière intentionnelle et non jugeante [1]. Cet état d’esprit se distingue nettement de l'”ordinaire”, dans lequel il y a souvent une diffusion de l’attention et une évaluation (émotionnelle et cognitive) très immédiate et intense. En d’autres termes, une attitude attentive consiste à faire ce qui se passe maintenant, sans se préoccuper des pensées qui nous éloignent de l’expérience concrète du moment.
Un esprit qui vagabonde est un esprit qui n’est pas heureux
Dans le cadre d’une étude à grande échelle, Killingsworth et Gilbert [2] ont utilisé un questionnaire sur smartphone pour collecter en temps réel les pensées, sentiments et actions continus de 2 250 personnes pendant qu’elles effectuaient leurs activités quotidiennes. 47% des participants ont déclaré que leur esprit était actuellement occupé par autre chose que l’action en cours. Les participants ont également déclaré être plus heureux lorsqu’ils étaient pleinement engagés dans ce qu’ils faisaient ici et maintenant, et ce même lorsqu’ils effectuaient des tâches désagréables. Les auteurs de l’étude en ont tiré la conclusion suivante : “L’esprit qui vagabonde est un esprit malheureux”. Les pensées vagabondes rendent les gens difficiles à trouver un “ancrage” et les rendent plus susceptibles d’être malheureux ou malades.
Effets de la pratique de la pleine conscience
L’entraînement à la pleine conscience favorise la perception consciente et contribue à une plus grande conscience du corps et à l’affinement de nos sens. Les recherches actuelles considèrent que le développement de la pleine conscience permet d’améliorer la régulation des émotions [3] et d’accroître la conscience de ses pensées, de ses émotions et de ses sensations dans le moment présent. Par exemple, le simple fait de nommer les émotions crée généralement une plus grande distance par rapport à celles-ci. Il s’agit d’une condition préalable pour pouvoir accepter l’expérience intérieure, c’est-à-dire la laisser se produire sans devoir intervenir ou la contrecarrer. Une attitude attentive est en outre une condition importante pour pouvoir percevoir les pensées en tant que telles et, le cas échéant, prendre ses distances par rapport à leur contenu. La pleine conscience peut donc être considérée comme une sorte de technique générale de contrôle de soi. Enfin, une meilleure maîtrise de soi ouvre la possibilité de rompre avec les habitudes et les automatismes actuels. Les impulsions internes peuvent ainsi être perçues plus rapidement, ce qui permet aux personnes de prendre des décisions, de communiquer et de réagir de manière optimale en fonction de la situation, à partir d’une attitude d’auto-observation.
Quel est le lien entre la pleine conscience et la dépression, l’anxiété et les obsessions ?
Les états de pensée et d’émotion négatifs peuvent facilement être réactivés même après la fin d’un épisode dépressif. Le facteur déclencheur de la rechute est une détérioration de l’humeur qui réactive des pensées dysfonctionnelles (par exemple : “Je vais faire du mal aux autres.”), des hypothèses de base (par exemple : “Je suis un raté.”) et des souvenirs d’événements négatifs (par exemple : “J’ai aussi été licencié de mon dernier emploi.”). Le traitement ruminatif lors de la réapparition d’humeurs et de pensées négatives entraîne un processus d’emballement dépressif, ce qui crée un sentiment de perte de contrôle et peut favoriser une évolution dépressive. En revanche, si l’on parvient à percevoir et à interrompre les schémas de pensée négatifs à un stade précoce, l’évolution dépressive peut être influencée favorablement (figure 1).
Dans le cadre de l’anxiété pathologique, des processus cognitifs comparables jouent un rôle important. Ainsi, des hypothèses de base internes, des souvenirs ou des pensées dysfonctionnelles, entre autres, entraînent un processus d’emballement émotionnel interne et peuvent conduire à l’imagination de scénarios catastrophes qui déclenchent des pulsions de fuite, de contrôle et d’évitement invalidantes (par exemple : “J’ai le cœur qui s’emballe, je vais faire une crise cardiaque, je dois appeler une ambulance”). Sans une perception consciente ou attentive de ces processus internes (par exemple, des conclusions arbitraires ou des catastrophisations), il est difficile de les interrompre. En revanche, si elles sont perçues avec attention, elles peuvent être classées comme telles et considérées avec du recul, et le comportement peut être orienté de manière plus consciente et indépendante des impulsions de peur.
Le comportement des personnes souffrant de TOC se caractérise également par le fait qu’il n’est souvent pas axé sur le moment présent ou les dangers actuels, mais sur les événements futurs ou passés possibles. Les personnes concernées ruminent ce qu’elles considèrent comme des comportements dangereux dans le passé (par exemple, “Ai-je laissé la lumière allumée à la maison ?”) ou s’inquiètent de l’avenir (par exemple, “Et si mon père mourait maintenant parce que j’ai couru à droite ?”). Dans le cas des obsessions, l’intervention basée sur la pleine conscience se concentre principalement sur un changement d’attitude vis-à-vis des pensées obsessionnelles : celles-ci sont uniquement perçues en tant que telles, sans les évaluer ni tenter de les modifier. Cela permet d’interrompre l’automatisme, souvent de longue date, en percevant les pulsions d’action internes liées à la compulsion comme telles, avant que l’action compulsive ne soit réalisée.
En résumé, la pratique de la pleine conscience peut aider à sortir de la rumination et de la spirale de l’inquiétude et à prendre conscience de ses propres impulsions comportementales internes afin de pouvoir se consacrer aux choses précieuses ici et maintenant. Vous encouragez :
- la perception consciente de l’ici et maintenant (par opposition aux carrousels de pensées involontaires sur le passé ou l’avenir).
- une attention sans jugement à ses propres pensées, sentiments et sensations corporelles.
- la perception consciente des changements d’humeur, des cognitions automatisées et des impulsions d’action, sans avoir à y réagir automatiquement.
La pleine conscience dans la psychothérapie
La pratique de la pleine conscience est actuellement utilisée dans les méthodes psychothérapeutiques les plus diverses. Il existe toutefois des différences dans l’ampleur et la manière d’appliquer la pleine conscience. En principe, on peut faire une distinction entre les procédures basées sur la pleine conscience et les approches informées par la pleine conscience. Les pratiques basées sur la pleine conscience sont fondées sur les traditions bouddhistes de Jon Kabat-Zinn. Dans ce domaine, la réduction du stress basée sur la pleine conscience (MBSR) de Kabat-Zinn et la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience (MBCT) de Segal et ses collègues sont les méthodes les plus répandues. Les approches typiques informées par la pleine conscience, par exemple la troisième vague de la thérapie cognitivo-comportementale, sont la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) ou encore la thérapie dialectique et comportementale (DBT). En plus de la pleine conscience, toute une série d’autres compétences thérapeutiques sont enseignées. En règle générale, ces approches n’enseignent pas d’exercices de méditation intensifs ou chronophages, mais plutôt des exercices de pleine conscience plus courts.
Exemples d’intervention
Outre les différents exercices de pleine conscience (par exemple la méditation sur la respiration ou le scan corporel), les questions posées lors de l’entretien thérapeutique peuvent constituer de brèves interventions favorisant la pleine conscience et encourageant la perception attentive de l’ici et maintenant :
- Où est votre attention en ce moment ?
- Que ressentez-vous en ce moment, assis ici ?
- Où pouvez-vous le sentir dans votre corps ?
- Où êtes-vous assis ? Que regardez-vous ?
- Que voyez-vous ? Que ressentez-vous ? Qu’entendez-vous ?
- Que ressentez-vous ? Quel est votre goût ? Que sentez-vous ?
- Décrivez la sensation, sa couleur, sa forme, sa taille, …
- Est-ce qu’une envie, une impulsion d’agir émerge maintenant en vous ?
Résultats de la recherche
Depuis le début du millénaire, la thérapie de pleine conscience suscite un intérêt croissant de la part des chercheurs empiriques. Depuis 2000, le nombre de publications spécialisées dans ce domaine a augmenté de manière significative (figure 2).
Une méta-analyse examinant les résultats de 115 études portant sur un total de 8683 participants a pu montrer que la MBSR et la MBCT étaient associées à des améliorations des symptômes dépressifs, de l’anxiété, du stress et de certaines maladies physiques telles que le cancer, les maladies cardiovasculaires, les douleurs chroniques, etc [5]. Chez les adultes et les enfants en bonne santé, un effet préventif de la MBSR et de la MBCT a également été démontré ; elles sont ainsi associées à la réduction du vécu de stress et d’autres symptômes psychopathologiques initiaux qui pourraient entraîner une souffrance clinique à plus long terme.
Lazar et ses collègues [6], entre autres, ont étudié comment et si l’utilisation d’applications basées sur la pleine conscience se traduit par un corrélat neurobiologique. Dans cette étude, des modifications des structures cérébrales ont été mises en évidence par des examens IRM chez 20 sujets ayant une expérience approfondie de la méditation. Les zones cérébrales responsables du traitement des impressions sensorielles, de la régulation de l’attention et de l’interoception étaient plus épaisses chez les sujets méditants que chez les témoins appariés. Dans une autre étude, l’activité des zones cérébrales a été évaluée par IRM fonctionnelle pendant l’exposition à des images négatives [7]. Les 24 volontaires sains qui ont effectué un court exercice de pleine conscience ont présenté une activité réduite des zones cérébrales responsables du traitement des émotions (comme l’amygdale ou le gyrus parahippocampique) lors de la visualisation de stimuli associés à des émotions négatives vs celle d’images neutres, par rapport aux 22 témoins sans intervention. Les résultats indiquent des effets de l’entraînement à la pleine conscience en termes de régulation des émotions à un niveau neurobiologique.
Conclusion et perspectives
Au cours de la dernière décennie, la thérapie basée sur la pleine conscience pour la dépression, l’anxiété et les obsessions est passée d’une position marginale dans le domaine thérapeutique à une méthode reconnue et empiriquement fondée [8]. La MBCT a été incluse dans les lignes directrices sous son indication classique, la prévention des rechutes de la dépression (NICE, S3).
Malgré des résultats convaincants sur l’efficacité des méthodes de pleine conscience, il ne faut cependant pas négliger les méthodes établies, basées sur des preuves, pour le traitement de la dépression et des troubles anxieux et obsessionnels. Une tâche importante de la recherche future est de déterminer quelle procédure est la plus efficace pour quels patients. En attendant d’en savoir plus, les thérapies de pleine conscience doivent être considérées comme une extension prometteuse des possibilités d’intervention dont nous disposons et non comme un substitut aux approches thérapeutiques établies.
Messages Take-Home
- La pleine conscience favorise une meilleure régulation des émotions. Cela permet de mieux percevoir ses propres sentiments, pensées, impulsions d’action et sensations, sans devoir essayer de les modifier.
- La MBCT a été incluse dans les lignes directrices sous son indication classique, la prévention des rechutes de la dépression (NICE, S3).
- Jusqu’à ce que des études aient permis de déterminer quelle méthode est la plus appropriée pour quel patient, les thérapies de pleine conscience devraient être utilisées comme extension – et non comme remplacement – des approches thérapeutiques établies.
Littérature :
- Heidenreich T, Michalak M : La pleine conscience et l’acceptation comme principes en psychothérapie. PiD-Psychothérapie en dialogue 2006 ; 7(3) : 235-240.
- Killingsworth MA, Gilbert DT : A wandering mind is an unhappy mind. Science 2010 ; 330(6006) : 932.
- Hayes AM, Feldman G : Clarifier le construit de la pleine conscience dans le contexte de la régulation des émotions et du processus de changement en thérapie. Psychologie clinique : Science et pratique 2004 ; 11(3) : 255-262.
- Bohus M, Huppertz M : Mécanismes d’action de la psychothérapie basée sur la pleine conscience. Revue de psychiatrie, de psychologie et de psychothérapie 2006 ; 54(4) : 265-276.
- Gotink RA, et al : Standardised mindfulness-based interventions in healthcare : an overview of systematic reviews and meta-analyses of RCTs. PloS One 2015 ; 10(4) : e0124344.
- Lazar SW, et al : L’expérience de méditation est associée à une augmentation de l’épaisseur corticale. Neuroreport 2005 ; 16(17) : 1893-1897.
- Lutz J, et al : Mindfulness and emotion regulation. Une étude IRMf. Soc Cogn Affect Neurosci 2013 ; 9(6) : 776-785.
- Hegemann K : Thérapie de pleine conscience pour l’anxiété et la dépression. InFo Neurol Psychiatr 2018; 16(3) : 2-4.
InFo NEUROLOGIE & PSYCHIATRIE 2019 ; 17(2) : 17-19